Materialists : quand la logique de marché envahit l’amour

logique de marché dans l’amour

Le film Materialists capture un basculement contemporain : celui où l’amour devient un espace de stratégie et le couple, une forme d’investissement personnel. Derrière cette transformation se dessine une logique de marché dans l’amour, où l’on ne cherche plus un lien nourrissant ou vibrant, mais un profil optimisé, une compatibilité projetée, un choix rationnel.

À travers le métier de l’héroïne, matchmakeuse, Materialists ne parle pas d’amour, mais de désirabilité sociale, de valeur perçue, de performances affectives. L’amour devient un marché. Et dans ce marché, chacun·e est à la fois produit, recruteur et stratège. Ce film propose un miroir grossissant du réel. Et ce qu’il reflète, c’est un pan entier de notre époque où le couple devient une transaction et le désir, un KPI relationnel.

Alors que devient la relation humaine quand elle s’organise selon des critères de rentabilité affective ? Que reste-t-il du lien quand on essaie de supprimer l’incertitude, le trouble, et la surprise ? C’est ce que cet article explore.

I. Le marché amoureux : sélection, critères et contrôle

Depuis toujours, les sociétés ont structuré les rencontres : mariages arrangés, agences matrimoniales, stratégies familiales, dots, alliances d’intérêts.

Mais aujourd’hui, alors que nous nous croyons libérés de ça, ce contrôle passe par un canal nouveau : les applications de rencontre. Ces outils prolongent l’idée d’un matching rationnel, où l’on trie, filtre, compare. L’objectif n’est plus de ressentir quelque chose, mais de cocher des cases.

Dans le film, les client·e·s de la matchmakeuse ne cherchent pas un partenaire à aimer. Il·elle·s veulent un bon profil. Une personne “compatible”. Quelqu’un qui respecte certains critères objectivables : âge, revenus, niveau de vie et même – et surtout – taille.

Chaque personne devient alors une offre sur le marché. On veut plaire, mais surtout correspondre. L’intuition est remplacée par la compatibilité. Et la rencontre, par une procédure de validation.

C’est exactement ce que les applis renforcent : on fait défiler des profils comme des CV, on évalue en quelques secondes et on mesure notre propre “cote” en fonction du retour des autres. Résultat : au lieu de se rencontrer, on recrute.

La question n’est plus : Est-ce que je ressens quelque chose ?
Mais : Est-ce qu’il·elle coche les bonnes cases ?

II. Se regarder comme un produit : la fausse affirmation de soi

Le plus troublant dans ce système, c’est ce qu’il produit à l’intérieur des individus. Les personnages du film, et par extension beaucoup d’entre nous, ne se contentent pas d’évaluer l’autre. Ils s’évaluent eux-mêmes en continu. Est-ce que je suis assez désirable ? Assez jeune ? Assez cultivé·e ? Assez stratégique ? On ne cherche pas seulement à être aimé·e. On veut être reconnu·e comme une “bonne prise”. On valorise ses attributs, on améliore sa présentation, on contrôle son image.

Cette posture n’est pas une preuve de confiance. C’est de l’aliénation intériorisée :
Je me regarde avec les yeux du système qui me juge.

On croit être libre parce qu’on choisit, alors qu’en réalité, on se conforme à ce que l’on pense que l’autre attend.

Ce faux empowerment, qu’on retrouve souvent dans les discours autour de “savoir ce qu’on vaut”, repose en réalité sur une logique d’auto-objectivation. On ne se construit pas de l’intérieur. On s’évalue selon des normes extérieures.

Et tant qu’on plaît, on pense valoir.
Mais dès qu’on dévie, dès qu’on prend du poids, qu’on gagne en vulnérabilité, qu’on sort du script, la valeur perçue chute – et avec elle, l’estime de soi.

C’est là que la logique de marché dans l’amour déplace la notion même de puissance. On ne se sent pas fort·e parce qu’on est aligné·e. On se sent fort·e parce qu’on a du “succès”. Ce n’est pas l’identité qui compte, c’est la rentabilité perçue.

III. Ce que cette logique de marché dans l’amour évacue : risque, vérité, lien réel

L’imprévisible devient inacceptable. Ce système d’optimisation affective a un prix. En voulant éviter le risque, on supprime la part vivante du lien. On fuit ce qui ne se maîtrise pas : la lenteur, l’attirance inexpliquée, le trouble de l’intimité, le désordre de la rencontre.

Tout ce qui fait la qualité d’une relation — sa capacité à nous déplacer, à nous transformer, à nous révéler — est remplacé par des garanties imaginaires. Des filtres, des compatibilités, des projections.

Et cette tentative de tout maîtriser ne sécurise rien. Au contraire, elle produit souvent des liens plats, sans corps, sans élan, sans vibration.

L’amour devient une stratégie de préservation. On ne veut pas souffrir. On veut se protéger. Et parfois, à force de se préserver, on s’empêche d’aimer.

Car la personne qui nous transforme n’est pas toujours celle qui “correspond”.
Celle qui nous touche n’est pas celle qui remplit toutes les conditions.

Mais dans une logique de marché amoureux, ces dimensions n’ont plus de place.
On ne se laisse plus surprendre.
On sécurise.
On gèle.

Et bien souvent, cette stratégie produit l’effet inverse : solitude, frustration, isolement dans des relations convenables mais vides.

Conclusion : aimer autrement, malgré le système

Materialists propose un miroir déformant mais révélateur. Il montre ce qui se passe quand le lien amoureux est absorbé par les logiques du marché. Quand il devient une vitrine qui se doit d‘être désirable. Quand tout devient question de choix “intelligent”. Quand la compatibilité tue l’élan. Et quand on croit s’aimer en s’évaluant.

Mais ce film ne dit pas que tout est foutu. Il rappelle simplement à quoi il faut être attentif·ve : à ce moment précis où, sous couvert de lucidité et de raison, on cesse d’être vivant·e dans la relation. À ce moment où la quête de l’autre devient un réflexe de contrôle, pas un appel au lien.

Il est encore possible d’aimer autrement. De sortir des applis, de se remettre à rencontrer dans la vraie vie. De ne pas céder à l’angoisse de rater “la bonne personne”. De s’autoriser à être touché·e sans contrôle. Et de reconnaître que le lien vrai n’est pas un bon choix stratégique. C’est une rencontre.

📩 Si vous sentez que votre rapport à l’amour a été influencé par cette logique d’optimisation, ou si vous souhaitez explorer d’autres manières d’entrer en lien, je vous invite à me contacter.

1 réaction sur “ Materialists : quand la logique de marché envahit l’amour ”

  1. chalumeau Réponse

    plein de phrases qu’on a envie de mémoriser.

    texte parfait.
    et important.

    comme le préambule d’un manifeste et d’une doctrine, tant semblent nombreuses et passionnantes ses possibles arborescences.
    ou comme l’introduction d’une petit essai sur les applis.

    bref bravo.

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